Interrogations dans le cadre d'un contentieux contre une décision de résiliation d'un marché public
- Law Mineral
- 16 mars 2019
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Quelques interrogations quant aux droits des tiers dans le cadre du contentieux de contestation d’un refus de résiliation (CE Sect., 30 juin 2017, Syndicat mixte de la promotion de l’activité Transmanche, n°398445)
Par la décision citée, le Conseil d’Etat a ouvert la voie à un nouveau recours des tiers fasse aux décisions de l’Administration. Ces derniers peuvent en effet désormais contester le refus de résiliation d’un contrat passé avec un autre opérateur économique.
Il convient cependant de préciser certains aspects de ce contentieux quant aux conditions très restrictives d’accès à ce recours.
Tiers susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine - Tout d'abord, et similairement à la règle posée par l'arrêt Tarn-et-Garonne, le tiers doit être susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par le refus de résilier le contrat.
A noter que, suivant le même esprit de parallélisme, le recours est également ouvert au préfet et aux élus locaux, s'agissant des contrats des collectivités territoriales.
Même si le motif pour lequel les requérants sont, en l'espèce, jugés irrecevables à contester le refus de résiliation ne doit pas être interprété comme excluant, a priori, qu'un concurrent puisse se voir reconnaître une telle qualité (il ressort très clairement des conclusions de Gilles Pellissier sur cette affaire que seules les circonstances particulières de la concurrence entre l'activité des sociétés requérantes et celle objet du contrat litigieux justifient que celles-ci ne soient pas regardées comme étant susceptibles d'être lésées dans leurs intérêts de façon directe et certaine), on comprend aisément que cette première condition ne manquera pas de réduire drastiquement le nombre des requérants recevables.
Limitation des moyens susceptibles d'être soulevés - En outre, les moyens susceptibles d'être soulevés à l'appui de ce nouveau recours sont limitativement énumérés. Il s'agit, en substance :
- de ceux ayant trait à l'irrégularité du contrat qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ;
- de ceux tirés de règles de droit nouvelles applicables aux contrats en cours (venant, par exemple, limiter la durée de telle ou telle catégorie de contrats) ;
- et de ceux tirés de circonstances de fait rendant la poursuite du contrat manifestement contraire à l'intérêt général (catégorie comprenant les inexécutions contractuelles d'une gravité compromettant manifestement l'intérêt général).
Et l'arrêt d'ajouter que les requérants ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise.
Enfin, l'arrêt précise qu'il « appartient au juge du contrat d'apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu'il y fasse droit » (c'est heureux) et « d'ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général », qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé. A dire vrai, cette réserve relative aux effets de la décision à intervenir apparaît presque superfétatoire, tant les moyens susceptibles de justifier qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat sont, eux-mêmes, liés le plus souvent à l'intérêt général.
Mais, par-delà les remarques qu'il peut susciter, l'arrêt laisse quelques questions en suspens.
Délai - Parmi les points abordés par Gilles Pellissier dans ses conclusions sur l'affaire en cause et qui ne sont pas expressément tranchés par la décision commentée, apparaît, au premier chef, celle du délai dans lequel ledit recours doit être exercé. Cette absence de précision laisse penser que le délai de deux mois posé par l'article R. 421-1 du code de justice administrative s’applique et ce d’autant plus que la réserve des travaux publics a été supprimée par le décret du 2 novembre 2016.
Suspension - On observera, par ailleurs, que, bien que mentionnée par Gilles Pellissier, la question de savoir si ce nouveau recours peut être assorti d'une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est nullement abordée par l'arrêt.
Doit-on en conclure qu'une telle possibilité est ici exclue et que le Conseil d'Etat s'est refusé à envisager d'ordonner, à titre provisoire, la suspension des relations contractuelles ? Si nous pensons, avec Gilles Pellissier, qu'il n'y a pas lieu d'exclure cette décision du champ du référé-suspension, force est d'admettre que même à supposer qu'une semblable demande soit possible, les conditions dans lesquelles il pourra y être fait droit devraient être si restrictives que l'éventualité devrait demeurer purement hypothétique (on songe particulièrement à la condition tenant à l'existence d'une situation d'urgence).
Indemnisation - Enfin, on observera également que l'arrêt ne fait pas davantage mention de la possibilité pour le requérant d'assortir le nouveau recours de conclusions indemnitaires tendant, selon les propos de Gilles Pellissier, « à la réparation du préjudice que lui causerait le maintien du contrat au cas où le juge le déciderait malgré l'illégalité de la décision de refus de le résilier ». On serait bien en peine de dire s'il convient d'en déduire qu'une telle faculté est exclue, s'il s'agit d'un oubli ou, tout simplement, de la conscience qu'une telle situation est peu probable.
Respect du droit au recours des tiers - On s'étonnera, en manière de conclusion et eu égard au caractère restrictif du recours ainsi substitué à la faculté antérieurement reconnue aux tiers de saisir le juge de l'excès de pouvoir, de ce que ce revirement ait été regardé comme ne portant pas atteinte « à la substance du droit au recours des tiers » au point d'être d'application immédiate. Il est vrai que le revirement institué par l'arrêt Tarn-et-Garonne avait, lui-même, été jugé ne pas porter « de limitation au droit fondamental qu'est le droit au recours », même s'il devait, finalement, ne pas être appliqué aux litiges en cours.
Marie Gautier,
Associée fondateur du cabinet Law Mineral
Droit public des Affaires
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