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Le licenciement économique à l'heure du numérique

Afin d’étudier le licenciement économique à l’heure du numérique, il convient d’étudier dans un premier temps le droit social à l’heure de la robotisation avant d’étudier le licenciement économique et ses bouleversements, créés par la robotisation.

Le droit social bouleversé par la robotisation
 

Aux termes de l’article L1233-3 du Code du travail, « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : […] à des mutations technologiques »[1]. Cette notion de mutation technologique est issue d’une loi de 1989[2] et nécessite d’être précisée dans sa définition et sa mise en œuvre.

 

On entend généralement par mutation technologique, toute mise en place de techniques, de processus ou de matériels nouveaux. Cette définition englobe donc les situations dans lesquelles l’employeur adapte son entreprise, par exemple en mettant en place des caisses automatiques dans un supermarché, en lieu et place d’une hôtesse de caisse. Il convient de préciser que cette réorganisation peut se faire en dehors de toute difficulté économique de l’entreprise, puisque cette solution a justement pour but d’éviter l’apparition de telle difficulté en permettant une adaptation de l’entreprise aux nouvelles technologies.

 

Cette idée de mutation technologique est à l’image du progrès au cours de l’histoire. Lorsqu’une invention ou une innovation est apparue, des emplois sont devenus désuets, engendrant des licenciements, et des créations d’emplois nouveaux. La révolution du numérique n’a fait qu’accélérer ce phénomène par la transformation de nombreux métiers.

Avec l’arrivée de la robotisation et de l’intelligence artificielle, ce phénomène promet de s’accélérer. Les tâches manuelles répétitives s’automatisent peu à peu à mesure que les robots gagnent de la compétence. L’intelligence artificielle parvient désormais à apprendre d’elle-même, et à acquérir des capacités qu’elle n’avait pas au moment de sa programmation initiale. Depuis la partie d’échec entre le robot Deep Blue et le champion du monde Kasparov en 1997, les robots dotés d’intelligence artificielle suppléent les hommes dans des tâches de plus en plus variées. Désormais, la robotisation n’est plus réservée au travail manuel, et touche de plus en plus le travail intellectuel.

 

Reste à savoir s’il faut se réjouir ou craindre ces progrès. Elles n’ont en réalité pas lieu de faire pâlir l’intelligence humaine si toutefois l’Homme s’y prépare. Du point de vue du droit social, « c’est de la capacité des entreprises à se préparer à ces évolutions prévisibles en formant les salariés pour les rendre cyber-compatibles que dépend l’onde de choc du transfert partiel d’activité aux systèmes d’intelligence artificielle »[3].

 

Le licenciement économique bouleversé par la robotisation
 

Si l’appréciation de la mutation technologique relève de la souveraineté des juges du fond, il semble que la mise en place d’une nouvelle technologie[4] ou d’un nouveau logiciel[5] suffise à justifier un licenciement.

 

Pour qu’un tel licenciement soit justifié, il est nécessaire que la nouvelle technologie entraîne une modification ou la suppression d’un emploi, c'est-à-dire la disparition ou la modification du poste en question.[6] Il faut par ailleurs qu’en conséquence de cette modification, le salarié n’ait pas réussi à s’adapter à ces transformations.[7] Enfin, pour que le licenciement soit valable, il faut que le salarié refuse la modification de son contrat de travail imposé par une mutation technologique.

 

Il semble logique que les premières victimes de ces mutations technologiques seront les salariés les moins qualifiés, qui seront donc moins aptes à s’adapter à une nouvelle façon de travailler. C’est dans ces situations que le droit à la formation permanente est primordial pour les salariés les moins qualifiés, qui verront ici une opportunité de passer le cap de la robotisation. Les personnes plus âgées seront également les premières victimes de cette évolution, étant moins adaptées aux nouvelles technologies que les jeunes salariés qui, issus de la génération Y, manient ces outils depuis leur enfance.

 

Le rôle reviendra donc au droit social d’encourager les formations afin d’accompagner chacun dans cette transition du numérique, déjà très engagée. Le licenciement économique est une opportunité pour les entreprises de ne pas rester sur le côté de cette évolution. Le droit social a donc fait le choix d’encourager la modernisation des sociétés en leur permettant une adaptation rapide.

 

Comme dans toute révolution, aussi bien les employeurs que les salariés doivent être soutenus par le droit afin que celui-ci s’adapte au mieux. Les défis restent grands pour que la robotisation et le développement de l’intelligence artificielle, gros projet de 2018, soient soutenus juridiquement tout en préservant la liberté d’entreprendre de chacun. La robotique, si les conditions de son encadrement sont réunies, ne doit donc pas faire peur à l’humanité. Cette technologie n’a pas pour objectif de remplacer l’Homme et ne pourra le suppléer en tout point. En effet, comme l’avait théorisé le généticien Albert Jacquard : « On peut apprendre à un ordinateur à dire : « Je t'aime », mais on ne peut pas lui apprendre à aimer. »

 

 

Jean-Baptiste GIGON

Avocat

[1]Article L1233-3 du Code du Travail

 

[2]Loi du 2 Aout 1989, n°89-549, Loi relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversions.

 

[3] G. LOISEAU, A. BENSAMOUN, « L’intégration de l’intelligence artificielle dans certains droits spéciaux », Dalloz, 2017, p295

 

[4] Cass. Soc. 2 Juin 1993, n°90-44956

 

[5] Cass. Soc. 14 Novembre 2001, n°94-44686

 

[6] Cass. Soc. 3 Avril 2013, n°12-11829

 

[7] Cass. Soc. 9 Juillet 1997, n°94-43709

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